|Écrit de Louis Viratelle.
Merci pour la participation de Mathis Archambaud.
Publié le 20 juillet 2022.
|Écrit de Louis Viratelle.
Merci pour la participation de Mathis Archambaud.
Publié le 20 juillet 2022.
Entre le milieu industriel où les immenses usines Tesla et SpaceX règnent et celui de Twitter, un grand faussé semble s’établir. Pour autant, Elon Musk a bien concrétisé sa volonté de racheter l’oiseau bleu : l’accord est passé, de nombreux obstacles difficilement évitables au vu des enjeux financiers se sont avérés, et l’entrepreneur est extrêmement instable dans ses prises de parole. À sa dernière déclaration en date du 8 juillet 2022, il annonce ne plus vouloir de ce rachat, même s’il s’est par exemple déjà adressé aux équipes de Twitter lors d’une visioconférence. Le contrat établi encadre très étroitement l’opération et se rétracter entre en conflit avec les termes juridiques signés réciproquement. Numerama décrit dans le détail les différentes possibilités pour la poursuite de ce périple inédit et soumis au caractère difficilement décrivable (pour ne pas dire extrêmement instable) du potentiel repreneur. La suite de ce papier est rédigé avec des formulations et un emploi des temps conformes au contrat actuellement en vigueur et à la volonté initiale de Musk : le rachat de Twitter.
Le rendez-vous virtuel avec le personnel de l’entreprise avait pour objectif de répondre aux multiples questions des employés, même si ces derniers se sont montrés peu rassurés après ces premiers échanges. Durant l’entretien, l’entrepreneur est resté relativement flou sur les changements concrets qu’il allait mettre en place. Il ambitionne notamment de populariser le réseau, qui malgré sa présence très marquée dans les esprits occidentaux comme en France, ne compte pas plus de 200 millions d’inscrits. Pour la comparaison, Meta cumule quant à lui proche de 2 milliards d’utilisateurs.
Si l’objectif de Musk est d’atteindre le milliard d’utilisateurs sur Twitter, il vise en parallèle à accroître les revenus générés par la plateforme. Cela passe notamment par la solidification de son modèle financier qui reste aujourd’hui insuffisant pour compenser les coûts fonctionnels du réseau.
Mais pour arriver à ses fins, les méthodes et modifications concrètes que veut mettre en place l’entrepreneur restent opaques, pour ne pas dire secrètes. Il semble peu rassurant vis-à-vis des équipes et de la potentielle mise en place d’un plan de licenciements, prône coûte que coûte la liberté d’expression sur la plateforme et veut qu’elle devienne une application indispensable au quotidien (et donc surement bien plus polyvalente), à l’image de WeChat, un réseau social chinois utilisé massivement dans le pays pour communiquer, mais aussi pour payer et recevoir de l’argent, prendre des rendez-vous chez des praticiens ou encore faire des rencontres.
Ces propos, qui décrivent l’aboutissement voulu et non la démarche concrète, semblent d’avance confrontés à certaines limites, voir rentrent en contradiction avec une partie de l’ADN de Twitter pourtant défendue par Musk lui-même. Si WeChat est devenu un couteau suisse en Chine, le réseau est étroitement lié au gouvernement en place, qui favorise son déploiement, son utilisation, mais qui gère aussi ce qu’en font les utilisateurs et l’utilise comme un outil de contrôle de la population. WeChat est loin d’être une place d’expression et de communication libre et indépendante, comme l’est assez largement Twitter. Et Musk lui-même défend cette idée que la modération du réseau se doit d’être très limitée, à l’inverse donc du réseau Chinois.
C’est aussi l’idée même de donner beaucoup de « pouvoirs » à une seule entreprise qui reste soumise à de nombreuses contraintes. L’Europe et le modèle occidental cherchent à combattre la centralisation des usages fondamentaux du numérique sur une seule application (donc entreprise). Cela pourrait notamment avoir une influence sur la volonté de Musk. Elle se dévoue ces dernières années pour essayer de réduire la dépendance aux entreprises américaines et pour répartir un maximum le développement des usages numériques (aussi fondamentaux sont-ils dans une immense panoplie de domaines) à diverses entreprises indépendantes les unes des autres.
Outre ce que doit être Twitter, le réseau social reste… un hébergeur de contenus… avec toutes les grandes difficultés de gestion qui en découlent…
Concernant la liberté d’expression, Elon Musk veut être clair. Il prône pour une modération la plus minimale que possible. Selon lui « […] [le réseau] doit être politiquement neutre, ce qui veut dire qu’il devra énerver l’extrême droite autant que l’extrême gauche » (citation traduite). Mais même si cette conception est fondamentalement idéale, elle semble extrêmement difficile à être mise en place. Comment « énerver » l’ensemble du spectre politique ? Une mesure est par définition orientée. En l’occurrence, réduire le plus possible la modération semble s’approcher de la volonté des politiques conservatrices défenseures des libertés d’expression (malgré certaines des conséquences qu’elles impliquent). Au contraire cela s’éloigne du « combat informationnel » que mènent des parties de gauche et qui cherchent à réduire la divulgation de thèses complotistes, de désinformation, ainsi que la haine et violence qui peut en découler (donc à la modérer et à donner des limites – avec toute la délicatesse qui en suit – à la liberté de s’exprimer).
Musk pour autant défend que la liberté d’expression implique que la majorité des propos peuvent être tenus sur le réseau. Le réseau doit donc être neutre sur le contenu qu’il héberge. Toujours selon la logique de l’acheteur, c’est aux algorithmes de moins mettre en valeur et de limiter la visibilité des propos qui seraient très extrémistes (rappelons que la violence même ne serait-ce que verbale ou encore les thèses erronées restent bien plus faciles à assumer numériquement, où les potentielles conséquences semblent instinctivement réduites).
Mais là encore et malgré l’opinion assumée de l’entrepreneur, le plus délicat reste de jauger le curseur. À l’écrit, aucune formulation ou rédaction n’est la même. Le sens des phrases est interprété subjectivement et les algorithmes ne peuvent à ce jour remplacer la modération humaine, elle-même confrontée à de très nombreuses limites tant financières, de fiabilité, que sur les conditions des travailleurs. Faut-il modérer humainement les comptes les plus suivis, comme cela a par exemple été le cas avec le président Trump ? Ou tous les Tweets doivent-ils être soumis aux même algorithmes de modération et à leurs limites ? Avec quel degré de tolérance ces algorithmes seraient-ils développés ? Ce sont des questions qui demeurent tout autant fondamentales que délicates, dont leur importance s’est accrue encore davantage avec les évènements sanitaires de ces dernières années.
Les mesures prises par les gouvernements, souvent très drastiques et restrictives vis-à-vis des libertés ainsi que la crise sanitaire, de gestion ou encore économique ont propulsées avec beaucoup de force la propagation d’informations erronées, complotistes et déconnectées des réalités (la souffrance collective engendrée par la pandémie et les mesures d’isolement n’ont dû que favoriser le phénomène). Le futur potentiel propriétaire devra là aussi décliner ses volontés concrètes.
Finalement il résulte de la question de la liberté d’expression sur Twitter une équation signée Musk fondamentalement simple, du moins en toute théorie. Pour être neutre il faudrait faire cohabiter selon lui ce qui oppose le spectre politique de gauche et de droite. Il « suffirait » de laisser la possibilité à tous de s’exprimer librement sur la plateforme (selon les principes politiques de droite) sans que cela engendre une restriction / suppression du compte ou des publications (du moins pour une majorité de sujets et selon les lois locales), tout en réduisant artificiellement la potentielle portée des Tweets aux sujets controversés (selon les principes politiques de gauche) pour limiter leur audience et leur impact sur les autres utilisateurs.
L’organisation industrielle inédite des usines Tesla est l’un des piliers de la compétitivité de l’entreprise face à la concurrence.
Concernant les règles de modération de chaque pays, Musk a déjà eu l’honneur de s’entretenir avec des hauts responsables politiques, notamment de la commission Européenne (ah sacré Europe !). Thierry Breton, commissaire Européen au commerce intérieur a rappelé certaines des règles Européennes. Les deux hommes se sont montrés plutôt très complices et Musk semble d’apparence vouloir règlementer Twitter aux exigences légales Européennes et à appliquer la modération minimum nécessaire à la conformité de la plateforme dans les différents pays du monde.
Pour la régulation et plus globalement le fonctionnement de Twitter, il reste un point particulièrement clair : Musk veut rendre « open-source » le code de la plateforme. Cela engendrera sa libre consultation dans une motivation de transparence et d’image de marque, bien que cela ne devrait pas avoir d’impact réel sur les utilisateurs et sur les performances de l’entreprise. Il veut aussi combattre les comptes « fakes » et les « bots » qui sont aujourd’hui très présents sur la plateforme et qui déshumanisent un réseau qui utilise pourtant le moyen de communication le plus humain. Il n’est pas non plus réticent à l’idée de permettre de vérifier l’identité des utilisateurs de la plateforme, et donc de potentiellement casser concrètement le (plus ou moins) mythe de l’anonymat en ligne, du moins pour ceux qui le voudraient.
Transparence implique très rapidement vie privée. Là aussi, Musk veut défendre ses principes. Malgré sa volonté d’accroitre la rentabilité de l’entreprise, l’entrepreneur reste un défenseur de la vie privée (et donc sûrement des modèles économiques « éthiques » qui ne fondent pas leurs revenus sur l’utilisation des données utilisateurs) sous bien des aspects. Il incite par exemple via son compte Twitter à l’utilisation du service de messagerie Signal qui a pour fondement l’absence totale d’accès aux données privées via le chiffrement de bout en bout. De ce pas il a émis le souhait par un Tweet de chiffrer de bout en bout les conversations privées sur Twitter, à l’image de certaines messageries instantanées.
Finalement, Musk reste bien identifiable avec ses convictions, son attachement et sa fidélité pour la plateforme qui lui constitue personnellement un très puissant outil d’influence et d’expression où il ne se fait pas remarquer par l’empathie, la modestie et plus globalement la subtilité de ses tweets. Il semble aboutir son amour pour l’oiseau bleu (et pour l’économie informatique dans laquelle il s’est construit ?) en ayant voulu un temps se séparer d’une part importante de sa richesse pour en acquérir toutes ses plumes. Profondément convaincu par Twitter, il a le soutien d’un des fondateurs les plus connus de la plateforme, Jack Dorsey, et a dévoilé quelques éléments, souvent très flous, parfois plus clairs. L’équilibre qu’il aimerait mettre en place concernant la modération est intéressant, même si il ne règle pas certaines grosses problématiques, comme la modération automatisée. Sa stratégie pour démocratiser Twitter sous-entend quant à elle de rendre le réseau plus indispensable, polyvalent, peut être « moins sérieux » mais ne révèle en rien des modifications concrètes.
Le prix payé par Musk est avant tout une aventure osée, mais qui pourrait rapidement devenir très délicate tant un tel réseau sans rivaux fondamentalement proches, constituant une interconnexion humaine profonde est épineuse à manier. Toute modification a directement un impact sur l’utilisateur et la marge de manœuvre est bien moins d’ordre interne et d’optimisation industrielle qu’avec une entreprise où l’intermédiaire entre l’utilisateur et la conception est l’usine de fabrication.
Cette interconnexion est peut-être abstraitement opposée aux secteurs industriels en compétition où le génie de Musk et ses traits caractériels atypiques, parfois brutaux (mais souvent communs aux personnalités influentes des milieux de pointe) finissent par avoir raison et aboutir à des entreprises qui impactent la société entière, profondément ancrées dans le capitalisme et la confrontation à la concurrence.
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