Les Américains et Européens partagent une motivation commune pour relocaliser les productions de semi-conducteurs sur leur territoire

Le monde entier accuse une dépendance totale envers la Chine, le Japon et la Corée du Sud pour produire les semi-conducteurs. Ces composants électroniques de pointe sont les fondements de tous les appareils numériques. Les politiques voient en ces industries une question de souveraineté et un important levier à emploi.

|Écrit de Louis Viratelle
Photographie Laura Ockel via Unsplash et communiqué de presse Intel. 
Remerciements à Mathis Archambaud pour sa participation. 
Publié le 13 septembre 2022. 

|Écrit de Louis Viratelle. 
Photographie Laura Ockel via Unsplash et communiqué de presse Intel. 
Remerciements à Mathis Archambaud pour sa participation. 
Publié le 13 septembre 2022. 

De la voiture en passant par la machine à laver, l’ordinateur et les serveurs web, tous ces appareils partagent un composant fondamental clé : les semi-conducteurs. Ils sont d’une grande complexité et ce sont eux qui assurent la puissance de calcul nécessaire à toute tâche informatique. Parfois dotés de milliards de portes logiques, souvent identifiés comme des processeurs, ils sont la base de l’informatique binaire. Tout appareil moderne doté d’un programme informatique pour fonctionner fait inévitablement appel à des transistors, donc à des semi-conducteurs. Et même si ce n’est pas le produit en lui-même qui en est équipé, le processus industriel en place pour faire naitre le produit nécessite à coup sûr des semi-conducteurs et de l’informatique.

Depuis des décennies, quelques pays du continent asiatique dominent la production de ces semi-conducteurs. Cela s’explique notamment par des coûts industriels réduits en délocalisant dans ces pays. C’est aussi la conséquence d’une grosse pénurie en composant qui avait affecté durablement les chaînes de production américaines de l’époque. Incapables de s’approvisionner par les distributeurs alors en place, de grands groupes comme Intel décident de délocaliser une large partie des productions en Asie pour se libérer ainsi des difficultés rencontrées.

C’est un effet boule de neige : le silicium extrait des terres est alors plus proche des productions (il provient majoritairement de Chine), la main-d’œuvre coûte moins cher, les normes environnementales moins élevées que dans les pays développés limitent certaines dépenses et le savoir-faire se condense dans ces pays. D’années en années les processus de fabrication des semi-conducteurs gravés toujours plus finement suivent quasiment la Loi de Moore et profitent du savoir-faire local pour établir des productions de masse malgré la complexité des composants.

En 2022, 80% des semi-conducteurs produits sur terre provenaient du continent asiatique. Ce chiffre n’a fait qu’augmenter depuis les dernières décennies. Pour la comparaison, les États-Unis produisaient en 1990 37% des semi-conducteurs à l’échelle mondiale, contre 12% aujourd’hui. Ce phénomène longtemps ignoré par les politiques des pays développés car favorable financièrement sur le court terme est de moins en moins valorisé.

C’est le résultat de plusieurs actualités : la pandémie mondiale a d’une part souligné les faiblesses de la mondialisation sans limite. D’autre part, les relations diplomatiques à travers le monde deviennent de plus en plus tendues, notamment entre les États-Unis et la Chine. Enfin, la plupart des politiques européennes et américaines s’accordent sur un point : la nécessité de réindustrialiser localement. L’économie de proximité n’en tirera que des bénéfices, en plus d’inscrire la volonté dans une démarche écologique en adéquation avec les objectifs climatiques.


Les gouvernements investissent et inaugurent la réindustrialisation locale des semi-conducteurs

Les sanctions affligées aux Russes par suite de la guerre qu’ils mènent en Ukraine ont prouvé l’importance du secteur. Coupé en grande partie du reste du monde, le pays rencontre d’importantes difficultés pour par exemple le secteur du spatial, faute de pouvoir s’approvisionner de certains composants à l’étranger. C’est du moins le bilan qu’avait dressé le directeur de l’agence gouvernementale Roscosmos il y a quelques semaines.

Intel vient d’initier la construction d’une grosse usine de semi-conducteurs, à New Albany, une ville des États-Unis dans l’État d’Ohio. L’entreprise – qui est l’une des leaders dans le domaine – parle de l’un des « plus grands sites de fabrication de silicium de la planète » (traduit de l’Anglais). Prévu pour commencer à produire fin 2025, l’usine (ou plutôt les deux premières grosses usines) devrait employer 3000 personnes et coûter 20 milliards de dollars. Si les plans initiaux s’établissent comme prévu, d’autres bâtiments de production pourraient voir le jour par suite de cette première échéance. L’ambition à terme est un investissement de 100 milliards de dollars et de provoquer 7000 emplois, notamment nécessaires pour la construction de ces usines de semi-conducteurs.

L’évènement s’est fait largement savoir avec une inauguration du chantier qui a notamment réuni le PDG d’Intel Pat Gelsinger et le Président des États-Unis, Joe Biden. C’est le premier projet d’ampleur dans le pays pour les semi-conducteurs depuis un long moment. Les lois américaines « CHIPS and Science Act » votées quelques semaines avant ont dû favoriser les choses.

Les législateurs américains ont en effet en tête la souveraineté de leur pays pour ces composants de haute technologie. C’est un enjeu majeur à la fois pour le secteur militaire, mais aussi pour l’ensemble des secteurs professionnels et grands public qui dépendent aujourd’hui totalement de l’informatique. Dans ce cadre, ce sont 280 milliards de dollars dont 52 milliards de subventions que prévoit cette loi pour favoriser directement cette industrie.

De l’établissement de ces usines devrait naitre une nouvelle dynamique à l’échelle locale. De nombreux partenaires et fournisseurs « B to B » répondront aux besoins des usines et seront bénéfiques à l’économie locale. Intel insiste également sur l’établissement de nouvelles formations professionnelles pour pouvoir par la suite contribuer à l’industrie. Elle est déjà en partenariat avec plusieurs écoles pour veiller à pourvoir les emplois qualifiés spécifiques au domaine.

Modélisation 3D de la future usine de semi-conducteurs d’Intel à New Albany, une ville des États-Unis dans l’État d’Ohio.

Avec ces usines, Intel vise les processeurs « ultra-modernes », ceux qui sont dans nos smartphones, nos ordinateurs, dans les centres de données ou encore de plus en plus dans les voitures. Ce sont ceux qui utilisent les procédés et protocoles de fabrication les plus avancés et les plus grandes finesses de gravure. Par conséquence ils nécessitent des chaînes de production tout aussi évoluées.

Les grands chantiers désormais entrepris questionnent sur les conséquences environnementales. Intel semble en être préoccupée et assure qu’elle ambitionne de n’avoir recours qu’aux énergies renouvelables pour alimenter électriquement ses usines. Elles devraient également respecter les plus hauts standards environnementaux en vigueur, notamment sur la pollution environnementale. L’entreprise vise à réduire fortement l’utilisation de l’eau et à cesser de produire des déchets en décharge.

D’autres entreprises investissent également de nouveau sur les territoires américains mais aussi européens. 15 milliards ont été investis par Micron pour une usine dans l’Idaho. Wolfspeed prend le parti de la Caroline du Nord et investit 5 milliards dans une usine de semi-conducteurs. En Europe, STMicroelectronics et GlobalFoundries vont ouvrir une usine de semi-conducteurs proche de Grenoble en France moyennant un investissement de 5,7 milliards d’euros (avec une importante aide de l’État français).
Intel a également des ambitions en Europe et investit 17 milliards d’euros pour produire en Allemagne et 12 milliards pour étendre les productions en Irlande. 4,5 milliards seront investis en Italie pour toutes les actions qui succèdent la gravure des puces en elles-mêmes.

Les investissements d’Intel visent globalement des productions de puces utilisant des procédés de gravure avancés. L’entreprise ambitionne de produire à l’avenir avec une finesse de 3 nm et moins, (via les gravures FinFET et sûrement demain grâce aux gravures GAAFET puis VTFET) ce qui côtoie les standards les plus élaborés.

Cette course technologique à la plus fine gravure n’est pas spécialement partagée avec toutes les usines. STMicroelectronics et GlobalFoundries visent par exemple en France des puces pour l’aéronautique et l’automobile. Les niveaux de finesse seront bien moins hauts (au maximum 10 nm), mais les puces produites respecteront des normes de fiabilité plus hautes, ce qui est incontournable pour des industries comme l’aéronautique.

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