|Écrit de Louis Viratelle et Bastien Gares.
Publié le 11 novembre 2020.
|Écrit de Louis Viratelle et Bastien Gares.
Publié le 11 novembre 2020.
Le 10 novembre dernier, Apple a tenu une conférence nommée « One More Thing ». Pour son dernier évènement de l’année 2020, l’entreprise s’est consacrée à présenter l’un de ses plus gros projets depuis des années, la transition du Mac vers des processeurs directement conçus par l’équipe ingénierie d’Apple.
Le Mac utilise depuis très longtemps des processeurs conçus par Intel et des processeurs graphiques conçus également par Intel ou par AMD. La justification de ce choix « pas très Apple » qui consiste à ne pas maîtriser entièrement sa chaîne de conception matérielle s’explique par l’avance et la suprématie de ces deux groupes américains que son Intel et AMD. Or, avoir du retard sur la technique d’un processeur engendre des conséquences sur le très long terme. Elles peuvent s’étendre sur des décennies et montrer un manque de compétitivité énorme malgré des dépenses importantes pour essayer de rattraper son retard sur la concurrence. Développer un processeur est une procédure très délicate et complexe. Chaque modification du « cœur de l’ordinateur » engendre des modifications très importantes d’un point de vue de son fonctionnement tant matériel que logiciel. Autrement dit, quand on prend trop de retard pour développer en bonne et due forme des composants comme des processeurs, mieux vaut rendre les armes et admettre que la concurrence fait mieux qu’accumuler les retards techniques qui peuvent engendrer de lourdes conséquences sur la compétitivité d’une gamme d’ordinateur.
Cette position est celle à laquelle a fait face Apple avec l’architecture x86. Et Steve Jobs a préféré faire transiter en 2005 les Mac vers les processeurs d’Intel, coupant ainsi les ponts avec IBM et sa gamme de microprocesseur PowerPC.
Cependant en 2020, Apple marque finalement la rupture des liens avec une quelconque entreprise annexe pour assurer la conception de la partie centrale du Mac, en annonçant la dérive des ordinateurs de l’entreprise vers l’architecture ARM.
ARM représente un modèle de processeur, un moule partagé par toutes les puces de cette architecture. Ce moule permet d’unifier les instructions informatiques nécessaires pour que le processeur puisse fonctionner et réaliser de manière physique certaines tâches. Cette unification est importante pour les développeurs, car elle leur permet de concevoir des logiciels de manière plus simple entre plusieurs plateformes. L’architecture x86 unifiait le « moule » entre les Mac et les autres ordinateurs sur Windows. Développer des logiciels pour les deux plateformes devenait donc plus simple.
Les principales différences entre les architectures x86 et ARM sont avant tout visibles au niveau de leur utilisation fondamentale. L’architecture x86 a été développée pour être intégrée à des appareils dans un premier temps fixes, où l’alimentation et l’espace physique étaient deux notions moins importantes que pour l’architecture ARM.
L’architecture ARM avait donc pour principales contraintes, celles de l’espace physique et de l’alimentation. L’architecture a été pensée et développée pour répondre à de nouveaux appareils beaucoup plus portatifs et mobiles tels que les smartphones, les tablettes ou encore les montres connectées. Ces appareils ont un encombrement résolument plus réduit, et les processeurs qui les animent se devaient d’avoir une consommation bien moindre que pour une tour PC car elle repose sur des batteries. La chauffe se devait également d’être extrêmement réduite pour ne pas avoir besoin d’utiliser un système de ventilation actif (un ventilateur sur un smartphone, imaginez…) et le tout devait être intégré dans un encombrement très réduit, sans pour autant avoir des performances trop maigres tant pour l’exécution de logiciels que pour les capacités de calcul graphique.
Pour concrétiser l’architecture ARM, une refonte totale a donc été pensée et a abouti à des cœurs de processeur d’un tout nouveau genre, qui sont aujourd’hui exploités par de nombreux constructeurs tels qu’Apple avec l’iPhone, l’iPad, l’Apple Watch mais également avec ses appareils audio et l’Apple TV, ou encore par Qualcomm qui fournit la majorité des processeurs des smartphones Android, en passant par Huawei avec ses Kirin et Samsung avec les processeurs Exynos des Galaxy.
L’architecture ARM se trouve aujourd’hui dans votre poche, dans votre TV, dans vos enceintes et écouteurs, peut-être dans votre frigo ou dans votre montre, ou bien encore… dans votre compteur Linky ! Autant dire que les processeurs x86 même transformés pour ces appareils connectés aux formes diverses font maigre allure, bien qu’encore utilisés par exemple par certaines box internet comme celles d’Orange. Mais en 2020, leur devenir est d’autant plus incertain que le meneur de l’ordinateur depuis des décennies abandonne Intel et x86 au profit de l’architecture ARM.
Au fil des années, nos ordinateurs se sont affinés, sont devenus de moins en moins encombrants, leur autonomie a augmenté, les interfaces se sont modernisées et les IHM au trackpad s’inspirent de plus en plus de celles des appareils tactiles aux écrans beaucoup plus petit. Fini les apparences rustiques, les logiciels recherchent la démarche artistique dans leur apparence et ergonomie, et chaque micro animation réflective de la lumière ou de la transparence est pensée avec grand soin.
De nos jours, les ordinateurs s’inspirent des smartphones et des tablettes pour être plus abordables et attractifs, tout en conservant leur spécificité de « machine à tout faire », sans ou avec peu de contraintes logicielles comme ça peut être le cas avec par exemple un iPhone.
Tous ces éléments réunit permettent de donner beaucoup plus d’importance à l’architecture ARM, qui s’avère bien plus appropriée à supporter toutes ces métamorphoses des ordinateurs.
Maintenant que le contexte est posé, que l’arrivée des processeurs ARM sur ordinateur semble une évidence, nous pouvons aborder la puce Apple M1 avec plus de légitimité.
Apple M1 est la première en son genre et ressemble particulièrement aux SoC (System on Chip), ces composants centraux de nos smartphones. Sur un composant gravé en 5nm sont présents les unités CPU, GPU et NPU (respectivement les unités calculatoires, les unités calculatoires des graphismes et les unités calculatoires neuronales, spécialisées dans les tâches d’apprentissage et d’intelligence artificielle). Toutes les mémoires de tous les niveaux de cache sont réunies sur la puce. La mémoire RAM est pour la première fois logée à proximité immédiate de la puce M1 puisqu’elle est intégrée dans le même « package » que la puce, autrement dit sous le même socle plastique apparent que la M1 (les barrettes de RAM resteront gravées dans nos mémoires, sans mauvais jeu de mot…). Une partie de la puce M1 est spécialisée pour la sécurité. L’enclave sécurisée se situe dans la puce M1 pour assurer le traitement des clés de sécurité, pour exécuter les algorithmes de chiffrement, assurer le stockage sécurisé de ces données ultrasensibles et gérer TouchID, le capteur de reconnaissance biométrique du Mac. Enfin Apple M1 gère les Entrées / Sorties du Mac : elles correspondent par exemple à la gestion des communications entre les différentes cartes électroniques internes, ou de certains composants comme la mémoire ROM.
Cette conception qui unifie finalement la majorité des composants principaux hormis entre autres l’alimentation, la mémoire ROM SSD, la partie réseau wifi / bluetooth signifie que l’ordinateur ressemble aujourd’hui particulièrement à un smartphone d’un point de vu interne.
Le CPU de l’Apple M1 reprend d’ailleurs la stratégie octo-core d’appareils plus petits : quatre cœurs sont alloués aux tâches de haute performance, avec probablement des fréquences d’horloge importantes et quatre autres sont des cœurs à haute efficacité énergétique. L’idée de ces quatre derniers cœurs n’est pas d’atteindre la plus haute puissance de calcul, mais d’assurer des tâches simples pour l’ordinateur en consommant le moins d’énergie possible. Ils seront privilégiés pour des tâches telles que le traitement de texte, la navigation sur des sites internet, ou probablement pour l’exécution de beaucoup de logiciels de base développés par Apple.
Les cœurs hautes performances se manifestent quant à eux lorsque beaucoup de traitement sont à faire comme par exemple lors de l’exécution d’un jeu vidéo ou du rendu d’un montage vidéo haute résolution.
L’idée ici est d’exploiter de manière intelligente l’architecture en 5nm, en profitant d’un côté du haut taux de transistor qu’elle permet d’avoir sur une même puce (16 milliards), et du bénéfice de rendement lors de tâche simple, pour éviter le dégagement de chaleur et une consommation électrique importante. Sur le nouveau MacBook Air, le CPU ARM signifie une puissance 3,5 fois plus grandes que celles précédentes de la version la plus haut de gamme, une avancée vraiment hors norme et qui semblerait crédible aux yeux de spécialistes !
Le GPU ARM est la partie la plus impressionnante niveau gain en performance comparé à des puces concurrentes pour ce gabarit d’appareil. En effet les processeurs x86 permettaient des performances graphiques rudimentaires, sauf peut-être depuis la dixième génération des Intel Core i5 et i7 où il y a eu un gain considérable.
Jusqu’alors, lorsque les performances de calcul graphique étaient un point important pour l’utilisateur, celui-ci dirigeait son choix directement vers des ordinateurs possédant des unités GPU séparées du CPU. Il est question de carte graphique, qui sont intégrées soit dans des ordinateurs portables (mais l’encombrement de celui-ci était de suite plus important), soit dans des unités fixes, la manière toujours la plus optimale pour bénéficier de performances importantes dans la durée.
Cependant, il est impossible pour un smartphone d’imaginer devoir accueillir un composant dédié aux graphismes. C’était donc l’un des enjeux de l’architecture ARM : permettre des graphismes plus que satisfaisants directement calculés depuis le SOC.
Le fruit de ce travail remarquable est désormais appliqué aux Mac, leur assurant un gain en performance graphique cinq fois plus grand que sur la version précédente du plus haut de gamme des MacBook Air, une montée en puissance à peine croyable !
Enfin les bénéfices du ARM sont visibles au niveau des capacités d’apprentissage neuronal et de l’exécutions de programme d’intelligence artificielle. En effet, l’IA requiert des puces particulières pour être exécuté dans de bonnes conditions. Huawei est l’un des précurseurs des NPU sur l’architecture ARM. C’est l’un des premiers constructeurs à avoir dédié une partie de leur SOC à l’IA. Aujourd’hui, tous les smartphones haut de gamme ont une partie spécialisée dans l’IA, grandement utilisé pour le traitement photographique ou encore pour la gestion intelligente de l’autonomie. Désormais les Mac bénéficient de ces avancés, et deviennent des appareils beaucoup plus adaptés pour bénéficier des algorithmes d’IA, mais également et surtout pour les créer et les coder.
Dernier point très prometteur de l’Apple M1, la puce permet toutes ces avancées, en consommant beaucoup moins d’énergie et en restituant moins de chaleur ! Le MacBook Air gagne 6 heures de batterie en moyenne, la version Pro peut tenir jusqu’à 20 heures d’affilée sans recharge selon Apple ! Un record sur Mac. La chaleur serait tellement contenue que le MacBook Air n’aurait pas besoin de ventilateur pour maintenir des températures acceptables. Le Mac Mini et le MacBook Pro en sont eux munis probablement car ils sont plus destinés à exploiter les cœurs hautes performances, qui sont d’ailleurs plus évolués.
L’Apple M1 signifie la compatibilité des Mac avec les applications de tous les autres appareils d’Apple. L’app Store est désormais unifié et toutes les applications sont théoriquement fonctionnelles nativement sur les Mac. Les développeurs pourront donc rendre fonctionnelle leurs apps sur le Mac, avec seulement quelques changements probablement au niveau de l’UI (comprenez « User Interface »). Le Mac s’ouvre donc à tout l’écosystème d’application d’Apple. Cela signifie que le processeur M1 est complètement capable de faire fonctionner les applications de smartphone, avec toutes les subtilités graphiques et visuelles qu’elles engendrent.
Le point de bascule, le réel élément à développer avec cette transition se situe ici. Comprenez qu’en 2020, le Mac est un iPhone, en plus puissant et en plus capable.
Apple n’a jamais autant uniformisé techniquement ses appareils. Apple n’a jamais autant montré de signes pour de nouveaux types d’appareils.
L’utilisation des écrans pliables par l’entreprise semble aujourd’hui plus probable que jamais, un monde de possibilité immense est libéré.
Apple concrétise discrètement l’avenu de nouvelles plateformes.
Prenez le Surface Neo annoncé par Microsoft. D’un point de vue physique, cet appareil pourrait représenter le futur du Mac.
Mais si Microsoft a des équipes d’ingénierie matérielle exceptionnelles, leur force de frappe dans le logiciel est beaucoup moins grande, car Windows est très ouvert, trop pour que l’entreprise impose sa vision.
Lorsque votre vision est incertaine, cette ouverture permet de vous sauver, car vous pouvez laisser de multiples visions se croiser pour espérer convaincre un ou des publics.
Mais lorsque votre nom est Apple, que vous concevez des appareils assez fermés au niveau du logiciel et que chacun de vos faits et gestes est analysé, décortiqué puis souvent reproduit par la concurrence, vous avez le pouvoir d’orchestrer des révolutions comme personne d’autre ne peut se le permettre. Quand Microsoft concrétise du matériel futuriste, Apple concrétise des révolutions. Celle-ci n’a rien de visible en ce jour, mais elle est pourtant le support de l’avenir des appareils numériques de l’entreprise.
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