« Les ‘échecs’, un sport comme un autre ? »

Notre réponse à l'absurdité des propos tenus par le journal Marianne.

|Écrit de Mathis Archambaud
Publié le 23 septembre 2022. 

|Écrit de Mathis Archambaud. 
Publié le 23 septembre 2022. 

En Janvier 2000 Marie-George Buffet, à l’époque ministre des sports, reconnaissait officiellement les échecs comme un sport, classés alors dans la catégorie « mind sport ». De quoi encourager la pratique des jeux de société comme un vrai sport. Une bonne nouvelle, ironise notre chroniqueur Mathis Archambaud, escrimeur de haute volée et heureux auditeur de « La fête est finie » d’Orelsan. 

Depuis quelques mois on assiste notamment sur les ondes à la promotion incroyable des « mind-sports » qui signifie littéralement « sports d’esprit » (la blague que représente à lui seul cet oxymore sera tout le sujet de cette chronique) et qui désigne dans les faits la pratique des jeux de société en compétition. 

Si on en parle beaucoup, c’est que la FIDE, la fédération internationale des échecs annoncera bientôt les dates et le lieu où se déroulera les championnats du monde d’échecs (un championnat du monde de jeu de société, vous y croyez, vous ?). 

L’annonce des prochains championnats du monde d’échecs sur le site de la FIDE.


Les échecs, du sport ?

Vous n’avez rien compris ? Nous non plus. Comment un journal certes très orienté mais qui se veut une once soit peu professionnel peut publier un message aussi haineux, peu réfléchi et peu critique ? La plupart aura compris, nous faisons ici référence à un article de Marianne traitant de l’esport en France. 

Un paronyme qui crée la confusion

La plus grosse erreur que commettent les rédacteurs de Marianne est de comparer directement l’esport aux sports dit « traditionnels ». Même si les termes sont extrêmement proches il faut comprendre qu’ils ne sont pas comparables, ou du moins pas à l’heure actuelle. En effet par définition quand on parle de “sport” il faut introduire la notion d’activité physique. De là, l’esport n’est pas un sport. 

Mais alors qu’est-ce que l’esport ? D’après le Larousse c’est « la pratique du jeu vidéo multijoueur [et des] compétitions dédiées à cette pratique ». Alors, l’esport ne se définit plus par le sport mais par lui-même, sa définition se suffit. Mais ça, c’est officiellement. Officieusement – dans les esprits – le sens du terme « sport » est en train de changer. 

N’oublions pas que les mots évoluent, en ancien français « desport » signifiait simplement « amusement » et incluait alors les jeux d’esprit. Le mot « sport » quant à lui vient en réalité de l’Anglais (amusant ces allers-retours linguistiques non ?). Nous sommes alors en train d’assister à une nouvelle mutation du sens du terme. Actuellement, dans l’esprit collectif, la définition de sport tend à devenir : « Ensemble de pratiques physiques et/ou mentales fédérées et institutionalisées à l’échelle internationale s’exerçant sous forme de jeux individuels ou collectifs pouvant donner lieu à des compétitions ». 

Ce manque de prise de distance de Marianne par rapport à la définition temporelle d’un mot est l’un des principaux reproches que nous pouvons leur faire, sans parler évidemment de la condescendance qui en découle (allez lire leur article, vraiment c’est intriguant de voir tant de haine ouverte de la part d’un journal professionnel). 

La santé, un joli hors-sujet

« Et comme c’est du sport, c’est forcément bon pour la santé » Oui, c’est un des raccourcis fabuleux que prennent Marianne dans l’article. Il est important de souligner l’impact qu’ont les sports sur notre santé, comme le disent Marianne le taux de personnes myopes est en très forte hausse en France et plus globalement dans le monde. Mais cet argument n’a rien à faire dans ce type d’article. 

Nous rappelons leur titre : « Le ‘esport’, un sport comme un autre ? ».

Oublions notre paragraphe précédent et considérons l’esport au même niveau que les sports traditionnels, beaucoup de sports ont des répercussions sévères sur la santé de leurs pratiquants, on pourrait citer l’état des pieds des danseuses après des années de pratique, les articulations des boxers ou même les colonnes vertébrales des gymnastes-contorsionnistes. Sur ce plan l’esport est donc un sport comme un autre. 

La couverture de l’article de Marianne.

L'esport remplacerait l'activité physique ?

Oui et non. Il est important de mentionner que les jeux vidéo peuvent conduire à un renfermement des joueurs sur eux-mêmes, les cas de joueurs qui ont perdu leur vie sociale à cause des jeux vidéo sont nombreux (on a un souvenir très fort des témoignages plutôt affreux que le youtuber Sheshounet a mis en avant dans une vidéo sur la toxicité de League Of Legends). C’est pour ça qu’il faut continuer à sensibiliser sur le sujet, les jeunes ne sortent pas assez, sociabilisent de moins en moins et il est probable que les jeux vidéo y aient contribué même si parfois ils aident au contraire à débloquer des personnes initialement peu sociables… mais c’est un autre sujet. 

Toutefois, en l’occurrence on parle ici de joueurs aspirant à être professionnels ou du moins à participer à des compétitions. « Mens sana in corpore sano » ou « un esprit sain dans un corps sain » est une citation antique souvent reprise par les sportifs de haut niveau (les vrais, pas ceux qui cliquent sur des souris hein, ne vous n’inquiétez pas Marianne). Aujourd’hui ces mots signifient « que l’homme doit cultiver sa force morale et sa force physique pour obtenir un corps et un esprit sain » et donc que l’esprit est tout aussi important que le corps. Prenons donc sa contraposée et nous obtenons la devise des joueurs d’esport. En effet ces derniers suivent aussi un entraînement physique, ils en parlent assez régulièrement et essaient de sensibiliser à ce sujet. 

Mariane ou comment perdre tout crédit journalistique

Nous comprenons parfaitement que certaines générations aient du mal à comprendre notre monde qui évolue à une vitesse phénoménale. Mais ce n’est pas une raison pour cracher dessus de la sorte, les questions autour de la légitimité de l’esport ont toujours existées mais le débat peut se faire dans le respect des opinions d’autrui. 

Le journalisme est un travail de conscience, il faut être conscient des faits dans leur globalité pour les commenter derrière. Or, ici, Marianne produit de la désinformation. En effet, le rédacteur a écrit avec des œillères, omettant des éléments ou transformant la réalité. Tout ne peut tenir à une définition de dictionnaire, sinon vous n’êtes pas penseur, rédacteur, journaliste, mais un simple observateur qui donne son opinion comme pourrait le faire une personne sur Twitter. Ici nous accusons Jérémie Peltier mais c’est en réalité Marianne dans son ensemble que nous remettons en question, un journal dit professionnel se doit de vérifier ce qu’il publie, tenir une conscience éditoriale. Même si les propos de Peltier suivent les idéaux de Marianne, ils n’en sont pas moins déplacés et non professionnels. Ce genre d’écrit n’a rien à faire dans un journal dit sérieux.

Ainsi nous conclurons sur le message de synthèse qu’a envoyé Louis Viratelle quand l’idée de réagir à leur article nous est venue :

« 

Il y a zéro objectivité, zéro esprit critique, tolérance, remise en question, aucune demi-mesure. C’est de la pure critique abrutie, ignorante, qui n’est pas là pour informer et fonder un avis nuancé, mais déverser du mépris personnel. Le propre du journalisme devrait pourtant être la réflexion par la conscience afin d’éviter à tout prix les raisonnements ignorants, y compris dans un article d’opinion. Raisonner par l’ignorance, c’est raisonner comme un complotiste.

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