|Écrit de Louis Viratelle.
Avec la participation de Guillaume Fourcadier et Bastien Gares.
Édition Alexandre Pierrat. Publié le 8 juin 2021.
|Écrit de Louis Viratelle.
Avec la participation de Guillaume Fourcadier et Bastien Gares.
Édition Alexandre Pierrat.
Publié le 8 juin 2021.
Si la stratégie d’Apple pour convaincre des dizaines de millions de personnes à utiliser un service musical payant qui se démarque que très peu de ses concurrents est discutable, l’entreprise a révélé récemment une avancée sur la qualité des fichiers audio assez impressionnante. L’annonce est assez importante pour bouleverser le secteur du streaming musical et remettre en cause la durabilité des offres à surcoût pour bénéficier d’une meilleure qualité audio.
Le succès d’Apple Music réside entre autres sur la parfaite maîtrise qu’entretient Apple sur son écosystème matériel et informatique de produits.
Durant de nombreuses années, Siri ne pouvait lancer des morceaux de musique que sur Apple Music. Bien que cette contrainte soit petit à petit retirée, des appareils comme les HomePod continuent de proposer une bien meilleure expérience si vous souscrivez à l’offre de musique d’Apple.
Apple Music permet également de payer son abonnement depuis Apple Pay. Cette fonctionnalité améliore largement l’expérience utilisateur.
Elle n’est par exemple pas proposée par Spotify qui serait contraint de reverser 30% de ses revenus via ce système de paiement à Apple.
Pour souscrire à Spotify (comme à la plupart des autres services de streaming), vous devez passer par le site de l’entreprise et renseigner vos coordonnées bancaires manuellement après avoir créé un compte, puis télécharger l’application mobile et vous connecter au service.
Pour le service d’Apple, il suffit d’ouvrir l’application pré-installée sur son iPhone afin de souscrire à l’abonnement en deux manipulations, sans entrer un seul code ou mot de passe. Apple Music est nativement relié à votre compte Apple intégré à l’iPhone.
La pré-installation de l’application Apple Music et son ergonomie pour s’y abonner incitent l’utilisateur qui rechercherait à utiliser ce genre de service à directement souscrire à celui de l’entreprise américaine, sans considérer les alternatives qui nécessitent d’être ajoutées à l’appareil.
Le nom même d’Apple Music lui est favorable, car il se retrouve en haut des propositions si vous recherchez de manière innocente sur l’App Store le terme « musique ».
S’ajoute à cela une certaine agressivité de la part d’Apple sur ses pratiques tarifaires avec l’arrivée d’Apple One, une offre qui permet aux utilisateurs de payer une somme mensuelle fixe avantageuse pour bénéficier de plusieurs services payants d’Apple.
Apple One cumule dès 14,95 euros une souscription à Apple Music, TV Plus, Arcade et iCloud 50 go. C’est une offre qui pousse donc largement le consommateur à utiliser le service de streaming de l’entreprise, qui est nativement inclus au forfait et associé à d’autres offres assez incontournables lorsqu’on possède un iPhone, comme iCloud qui permet de synchroniser la quasi-totalité de son appareil en ligne, le sécurisant en cas de perte ou de panne.
Ainsi Apple Music semble être une évidence, d’autant plus avec la formule familiale qui pour 19,95 euros par mois permet de rassembler les comptes Apple Music de cinq personnes, en plus des autres services payants d’Apple de la formule individuelle et d’un stockage iCloud de 200 go.
La suprématie appliquée par Apple sur son service de musique lui vaudra de nombreuses plaintes, notamment de la part de Spotify en 2019, qui l’accuse « de privilégier son service Apple Music par rapport aux autres plateformes de distribution sur l’App Store ».
Le directeur juridique de Spotify Horacio Gutierrez déclare « il y a beaucoup à admirer chez Apple, mais ma société, Spotify, y a vu aussi un autre côté, brutal. Apple conçoit, développe et vend certains des produits les plus désirés au monde. Ma firme est l’une des rares à insister sur le fait que derrière cette façade se cache une entité très intimidante, impitoyable, qui utilise sa domination pour entraver ses concurrents ».
Répartition du nombre d’utilisateurs en fonction des offres de streaming musical. Données de Counterpoint Research datant de 2020.
Pour la première fois depuis la création d’Apple Music en 2015, le service bouleverse réellement les concurrents par la fonctionnalité. Alors que son interface, les différentes options et le catalogue n’apportaient guerre de grandes nouveautés et innovations pour l’utilisateur, la démocratisation des sources de haute qualité devrait aguicher les adeptes de l’audio.
Depuis la création d’Apple Music, la plateforme repose sur le streaming de fichiers audio au format AAC. Le format AAC est un standard développé par l’institut Allemand Fraunhofer des sciences appliqués. Le format AAC est notamment connu pour son emploi par Apple. L’algorithme de compression avec perte est plus respectueux que le mp3.
Contenu des actuels possibilités, la destruction audio de ce format est considérée comme conséquente.
Malgré le fait qu’il demeure impossible de considérer à l’oreille une dégradation flagrante même dans un environnement calme et avec du matériel de qualité, de nombreux autres standards adoptés par les concurrents permettent un meilleur respect du son.
Mais pour mieux appréhender la qualité de l’audio, expliquons une notion clé, la fréquence d’échantillonnage.
La fréquence d’échantillonnage d’un fichier musical ou d’un service de streaming correspond à l’amplitude fréquentielle encodée numériquement.
En pratique l’échantillonnage est un critère mathématique qui indique que pour reproduire un signal jusqu’à une fréquence F, il faut échantillonner à 2F. Ainsi l’échantillonnage à 44,1 KHz permet par exemple de reproduire une fréquence jusqu’à 22,05 KHz.
L’oreille humaine est capable de percevoir les sons entre 20 Hz et 20 000 Hz. En dessous et au-dessus, on parle d’infrasons ou d’ultrasons.
Pour autant, certaines fréquences qui dépassent les seuils dits « audibles » sont quand même émises par certains matériels audio, et certains formats numériques.
Mais bien que ces fréquences paraissent fantômes, une partie des spécialistes du son défendent le fait qu’elles peuvent contribuer à certaines perceptions sonores audibles dans des conditions spécifiques.
Outre la fréquence d’échantillonnage, un fichier sonore est encodé sous un nombre précis de bits. Le nombre de bits se réfère à un rapport du niveau de bruit de fond que va générer l’écart au signal analogique. C’est le rapport signal / bruit. En pratique, cela correspond à la marge possible entre le son le plus fort et le plus faible, sans avoir une restitution sonore trop détériorée. Plus le nombre de bits est grand, plus l’encodage permettra de restituer des sons faibles, ce qui amplifiera la richesse sonore.
Aussi, la signal numérique est associée à un débit, qui traduit le « volume d’informations » qui transite chaque seconde.
Images (très schématiques et sans aucune échelle) représentant la « précision » de l’encodage numérique face à la source analogique.
Ainsi, le rôle des algorithmes est de détruire des « détails sonores » quasi imperceptibles à l’oreille humaine pour alléger les fichiers, ou alors d’utiliser les meilleures techniques de compression / décompression pour restituer sans perte l’audio. Pour autant, certains algorithmes utilisés par les codecs audio tel que le LDAC et l’AptX adaptent aussi leur dynamique en fonction des bandes fréquences. La minification du nombre de bits utilisés pour l’encodage numérique permet d’optimiser le rendu audio.
Certaines destructions peuvent aboutir à un son d’une qualité des fois légèrement amoindrie, bien que la plupart des personnes ne noteront pas la différence tellement qu’elle s’avère minime.
Actuellement l’un des principaux indicateurs de la qualité audio est la certification « Hi-Res ». Le label est géré par l’organisme « Japan Audio Society ». La certification assure que le signal numérique est au moins encodé en 24 bits, avec une amplitude fréquentielle minimale de 96 KHz. Cette amplitude correspond à une restitution sonore comprise entre 20 et 40 000 Hz. En pratique, son utilisation repose sur l’achat d’une licence, et de collaborations entre le constructeur audio et l’organisme plus ou moins laxiste sur l’attribution du label.
Pour mieux contextualiser l’avancée proposée par Apple Music en termes de qualité sonore, il est légitime de se référer au marché actuel du streaming musical.
Tidal et Qobuz représentent les deux services qui proposent les plus hautes qualités audio. Leur offre haut de gamme permet de restituer un signal de 24 bits à 192 KHz. Pour autant, Tidal utilise un codec propriétaire controversé qui engendre des pertes, le MQA.
Tidal propose cela pour le prix de 19,99 euros par mois. Qobuz se montre surement plus compétitif avec une seconde offre à 14,99 euros par mois payé annuellement.
Deezer, Spotify et Amazon Music proposent avec leur gamme Hi-Fi un encodage sonore sur 16 bits à 44,1 KHz. La date de lancement et le prix de Spotify Hi-Fi n’est pas encore connue bien que la montée en gamme soit officialisée. Concernant Deezer et Amazon Music, les deux monétisent cette qualité audio pour 14,99 euros mensuel.
Maintenant que le décor est posé, l’offre Apple Music Lossless est plus mesurable. Apple propose à partir du mois de juin 2021 des fichiers sonores sur son service de streaming allant jusqu’à 192 KHz avec un encodage sur 24 bits.
Pour les fichiers qui sont nativement moins ambitieux, Apple Music supporte quand même la qualité CD 16 bits / 44,1KHz et même 24 bits / 48 KHz.
Ces évolutions sont proposées sans aucun surcoût. L’offre Apple Music est toujours à 9,99 euros par mois par utilisateur et 4,99 euros pour les étudiants, outre l’intégration native dans Apple One.
Mais hormis un bond immense en termes de restitution audio, Apple a annoncé la compatibilité de sa plateforme avec « l’audio spatial ». Cette technologie repose sur le savoir faire de Dolby, avec leur technologie « Dolby Atmos for Music ».
Il faut voir cette annonce comme une avancée de la stéréophonie. Comme son nom l’indique, le réel intérêt de l’audio spatial est de spatialiser davantage la musique.
Au lieu d’uniquement travailler sur les canaux droits et gauches, l’audio spatial permet de restituer une impression de localisation des instruments et de la musique dans l’espace.
L’immersion est alors accrue, comme lorsque vous regardez un film dans une salle du cinéma avec un système acoustique multi canaux. Mieux que mille mots, Dolby propose d’illustrer via son site l’apport de l’audio spatial à l’aide d’une paire d’écouteurs.
L’intégration de l’audio spatial est dès à présent ajouté à toute la gamme d’AirPods : AirPods, AirPods Pro et AirPods Max. Également, l’entreprise intègrera la fonction à certains casques Beats et aux hauts parleur internes des derniers iPhone, iPad et Mac. Concernant l’arrivée d’Apple Music Lossless, les conditions d’accès sont beaucoup plus chaotiques !
Apple Music Lossless nécessitera l’installation d’iOS 14.6, de Mac OS 11.4 ou encore de la dernière version de l’OS de l’Apple TV.
L’ensemble des appareils Apple ne seront pas en mesure de restituer un signal analogique supérieur à 48 KHz avec leur convertisseur digital / analogique interne.
L’Apple TV peut restituer ce signal via son port HDMI en numérique pour le transmettre à un système audio utilisant une telle connectique.
Pour les Mac et iPad, une telle qualité audio sera proposée via leur prise jack, au format analogique.
Mais à la différence de l’Apple TV, Mac, iPhone et iPad pourront transmettre en numérique via l’USB-C ou le Lightning du son en plaine résolution, à savoir 24 bits 192 KHz. Il sera alors nécessaire d’utiliser un DAC externe pour transformer le son en un signal analogique.
Concernant le système de communication AirPlay, malgré qu’il utilise le wifi pour fonctionner, Apple le limite à un transfert sonore 16 bits 44,1 KHz.
La gamme HomePod n’est pour le moment pas compatible avec l’audio lossless. Les protocoles de lecture internes aux produits sont limités au AAC, le format destructeur utilisé par Apple.
La plus grande limite qu’applique Apple concerne les codecs Bluetooth. Toute la gamme AirPods, mais aussi iPhone, iPad et Mac communique en Bluetooth avec les codecs AAC / SBC.
Ainsi tous les AirPods, y compris les AirPods Max ne peuvent pas restituer une source lossless. Les iPhone, iPad et Mac sont également très bridés concernant leurs capacités de transfert Bluetooth.
La seule exception concerne le casque d’Apple qui peut être utilisé en filaire, via le Lightning. Mais le signal reste limité en 24 bits 48 KHz car le seul câble compatible détient une connectique Lightning (à connecter au casque) vers mini jack.
Le câble converti donc un signal analogique vers un en numérique. Vous aurez beau utiliser un bon DAC et une très bonne source analogique, la qualité audio restera dans tous les cas dépendant de l’ADC de câble d’Apple…
C’est un choix assez aberrant de ne pas avoir intégré de port USB-C ou mini jack pour transmettre de l’audio analogique sur le casque (qui devrait pouvoir être utilisé en passif, même si c’est loin d’être sa nature première) , ou alors de ne pas commercialiser un câble Lightning / USB-C pour acheminer un signal numérique directement au casque.
Telle qu’elle est, la conception nécessite de multiples conversions analogiques / numériques atténuant à chaque fois un peu plus la pureté du signal, ce qui éloigne très largement le produit des pratiques courantes en « Hi-Fi ».
Le plus hypocrite avec la stratégie de la marque pommée concerne Apple Music sur Android. La plateforme propose une restitution 24 bits 192 KHz ! Les smartphones Android bénéficiant de codecs Bluetooth plus évolués tel que l’APTX HD ou le LDAC pourront exploiter les qualités des fichiers sonores en sans-fil, pour les transmettre aux casques et enceintes compatibles !
Par exemple, le combo smartphone Xperia, casque WH-1000XM4 et abonnement Apple Music permettra de bénéficier d’une réelle expérience « Hi-Fi » en mobilité avec des appareils grand public qui peuvent transformer directement un signal 24 bits 96 KHz en un signal analogique exploitable par les transducteurs.
Concernant la version web d’Apple Music qui est notamment accessible sur Windows, nous ne savons pas en l’état des choses si elle sera compatible avec « Lossless ». La dépendance aux standards web pourrait être un frein pour les fichiers les plus définis. Notons enfin que le service iTunes d’Apple qui permet entre autres d’acheter de la musique à l’unité n’est absolument pas concerné par la montée en gamme de la qualité audio.
Les choix proposés par Apple avec son écosystème sont de réels paradoxes : l’entreprise offre le privilège à ses clients d’avoir le meilleur rapport qualité des fichiers audio / prix, mais ne valorise en aucun cas cette possibilité dans son propre écosystème de produits.
Si cela ne semble pas très problématique sur des écouteurs ‘true-wirerless’ ou bien sur de petites enceintes comme le HomePod mini, cela l’est davantage avec les AirPods Max et le HomePod premier du nom.
Ces deux derniers sont capables de développer de réelles performances audios et acoustiques et il est difficilement compréhensible que l’entreprise limite leurs capacités de restitution analogique avec l’électronique et l’informatique qui les pilotent.
Les multiples bridages des connectiques, de l’électronique, des codecs et protocoles de transmission vous obligeront nécessairement à utiliser du matériel proposé par d’autres constructeurs plus « audiophiles » pour bénéficier du signal Hi-Res 24 bits / 192 KHz.
Encore plus étonnant pour la marque qui recherche à démocratiser le sans fil et à minimiser la diversité des connecteurs, elle ne possède aucun protocole de transfert sans fil de la musique en Hi-Res, que ce soit en Wifi ou Bluetooth. Espérons que les mois qui arrivent permettront à l’entreprise d’apporter plus de cohérence entre son service de musique et son écosystème.
Apple a tout à gagner en bâtissant un écosystème audio de haute qualité. C’est la seule marque qui jouit du privilège de maîtriser la chaîne audio depuis le fichier stocké sur leurs serveurs jusqu’aux transducteurs qui produisent le son.
Ils ont la maitrise technique nécessaire pour concevoir de nouveaux codecs audio moins destructeurs et accroitre les débits de transfert que peut supporter AirPlay. Ainsi ils pourraient concurrencer les systèmes de Qualcomm et Sony avec des protocoles propriétaires, ce qui valoriserait encore plus leur écosystème de produits, et notamment leurs périphériques audio.
La commercialisation du premier HomePod et des AirPods Max prouve leur capacité à concevoir des produits audio de haute qualité, malgré la récente insertion de la marque sur ce marché. C’est une capacité très valorisable, l’industrie de l’audio est souvent assez fermée et les acteurs historiques gardent secret leur « marque de fabrique » qui donne le charme sonore à leurs conceptions.
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